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Coeur de la colere::part. 3

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Chapitre 3

Mauvais présages


Prise par la lecture de son livre traitant de la ô combien compliquée et batailleuse histoire des dieux, Aka ne se formalisait que peu de l’orage qui sévissait à l’extérieur.

Après le départ de son neveu et de son ami (qu’elle soupçonnait d’être plus qu’un simple ami, pour tout dire), elle était allée ranger son matériel de jardinage dans le cabanon derrière sa maison, avait vérifié l’étanchéité de son bassin pour récolter l’eau de pluie et avait finalement regagné le confort de sa demeure. Là, l’ouvrage le plus complet qui soit sur les nombreuses déités de l’univers attendait d’être relu pour au moins une centième fois, et ce pendant un orage. Ce livre, Les Dieux issus de la Machine et autres créatures du Plan des Immortels, était sans nul doute le préféré de Aka et elle appréciait le feuilleter lors des jours de pluie. La puissance des dieux décrite à travers les nombreux chapitres lui évoquait celle que pouvait déchaîner la nature.

Le sifflement de sa théière, dans la cuisine adjacente au salon, ramena la femme à la réalité. Elle mit un bout de papier en guise de signet  sans pour autant fermer le livre, puis elle se leva. Le chapitre qu’elle venait d’entamer avait pour première page une gravure représentant un grand loup orné de pointes acérées chevauché par un guerrier ailé à la longue tresse noire. Vokantiko et Chimeros; dieux de la Guerre et de la Destruction était-il inscrit sur la page suivante.

Aka revint avec sa théière pleine de thé, son breuvage favori, et retourna s’installer avec son livre sur sa chaise berçante.

L’orage ayant obscurci la région, le salon de Aka se serait retrouvé plongé dans la noirceur sans la lueur charmante mais ténue d’une bougie sur la table basse. Le mobilier et les décorations projetaient de faibles ombres contre les murs, des contours à peine perceptibles…

Aka perçut quelque chose du coin de l’œil et se tourna vivement dans cette direction : l’espace d’une fraction de seconde, il lui avait semblé que l’ombre de son croc de créature des contrastes avaient bougé et que ses contours s’étaient faits plus nets, plus vivants. L’indifférence tranquille qu’affichait la femme se muta en méfiances, ses sens en alerte. Les pupilles de ses iris rouges se dilatèrent. La flamme de la bougie s’altéra, ondulant sous l’effet d’un courant d’air qui n’était pourtant pas présent dans la pièce. Le tonnerre gronda avec violence au-dessus de sa maison.

Des événements anormaux se déroulaient, et il ne s’agissait pas que d’ombres ou de visions d’optique dans son salon. Il s’agissait d’un sentiment qui à présent s’insinuait en elle de façon sournoise, réveillé par le sursaut que son croc de créature des contrastes avait provoqué…comme si elle savait de façon pertinente que les choses ne se passaient pas comme elle le croyait, qu’un danger approchait. Néanmoins, cette impression se nuançait subtilement de celle qu’elle avait ressenti de façon beaucoup plus drastique, dix ans auparavant.

Le sentiment désagréable bien logé dans sa poitrine, Aka se releva et se mit à faire les cent pas dans son salon, en pleine confusion de réflexions. Qu’est-ce que cet horrible pressentiment pouvait bien signifier? Après un moment à réfléchir sur la question, elle parvint à se calmer. Ses traits retrouvèrent leur neutralité habituelle, puis son regard s’attarda sur son livre ouvert, sur la table basse. L’image du dieu Vokantiko chevauchant le loup de la destruction, Chimeros, la fit frissonner.

D’une main légèrement tremblante, elle ferma l’ouvrage.

On toqua à sa porte au même instant.



Des mains agrippèrent le col de sa chemise et le tirèrent vers le haut avec vigueur. Dès que son visage fut en dehors de l’eau, Faylyx cria comme si on lui infligeait une terrible souffrance. De longues coulées d’une substance noirâtre glissaient sur sa peau et souillaient ses cheveux. Les verres de ses lunettes, de travers sur son nez, étaient crasseux et parfaitement inutiles. Une fois ses hurlements calmés, le jeune homme rouvrit les yeux avec difficulté, ses paupières collées et alourdies par la substance foncée.

Son esprit était confus, de même que ses souvenirs. Quelques secondes plus tôt, il baignait dans une situation épouvantable de laquelle il ne pensait pas échapper et là… ses yeux presque aveugles ne distinguaient qu’une silhouette imprécises devant lui, éclairée par une chiche source de lumière. Ce qu’il avait vu… n’était-ce qu’un mauvais rêve?  

Sa mémoire se réveilla à cet instant. Un mauvais rêve… comment était-ce possible? Reovio et lui dormaient au fond de la Source de rêves, non?

« Faylyx… » balbutia la voix familière de son amoureux, interdite.

Le drako à la chevelure de jais s’approcha du bord et s’extirpa de ce qu’il croyait être la Source de rêves pour rejoindre Reovio. Encore sous le choc du cauchemar dont il avait été victime, Faylyx s’assit à même la roche de la caverne sans se formaliser de ses vêtements sales et détrempés. Il se tourna vers l’adolescent : même sans ses lunettes, il remarqua que celui-ci se tenait recroquevillé. Reovio était, tout comme son grand ami, recouvert de la substance noirâtre qui lui collait les cheveux et les habits à la peau, et son expression était tout aussi livide que la sienne.

« Qu’est-ce que…qu’est-ce que c’était que ça? » reprit-il, son regard turquoise fixé sur la pierre où ses pieds reposaient.

Avec ses doigts qui tremblaient, Faylyx enleva le plus de crasse possible de ses lunettes et se les remit sur le nez. Là, il fut à même de constater toute l’horreur de la situation : l’eau à la couleur indéfinissable de la Source de rêves s’était épaissie en plus d’être devenue noire et elle projetait une lueur nettement amoindrie. Ses yeux s’écarquillèrent.

« La Source… la Source est viciée! s’exclama Faylyx, horrifié. La Source…non!

-Qu’est-ce que tu veux dire par vicié? souffla Reovio en lui lançant un regard terne.

-Ce… ce n’est plus une Source de rêves… »

Deux grosses larmes roulèrent sur les joues crottées de Faylyx.

« C’est une Source de cauchemars… à partir de maintenant… »

Non! Son lieu secret préféré, celui que sa mère lui avait partagé tout jeune, ne pouvait pas se corrompre ainsi! C’était injuste! Le jeune homme eut un gros sanglot puis il s’essuya le visage du revers de la main.

« Je suis tellement désolé, Reovio, je n’aurais jamais imaginé que la Source puisse d’un coup… en fait, je ne pensais même pas qu’une telle chose se produisait vraiment! Par la Déesse-Mère… c’est affreux… »

Les images de son rêve traversèrent ses pensées. Dire que cela avait si bien débuté comme songe, il avait revu sa sœur jumelle Cya et sa mère, et tout avait dégénéré de façon monstrueuse à cause de…ça! Le liquide dans la Source de cauchemars tourbillonnait et de grosses bulles rougeâtres éclataient à sa surface avec un bruit dégoûtant.

« J’ai eu de la difficulté à te sortir de là, marmonna Reovio qui essuya une larme discrète de sur sa propre joue, un sourire triste sur les lèvres. Je ne devais pas être trop loin de la surface pour en sortir tout seul… mais quand j’ai plongé les bras dedans pour t’atteindre, j’aurais juré que cette chose s’était épaissie, comme si elle voulait que tu restes là…à cauchemarder! Elle voulait me dissuader de t’aider! »

L’adolescent se jeta dans les bras de son compagnon, misérable. Faylyx lui caressa le dos pour le réconforter, sauf qu’il était lui-même dans un état de détresse assez avancé et ne savait pas quoi faire d’autre.

« Je ne veux plus jamais faire de cauchemar pareil, gémit Reovio. Quand je me suis arraché de cette espèce de boue noire, j’ai cru que c’était vrai… je ne te voyais nulle part et pendant un instant j’ai pensé que tu avais disparu pour de bon… et quand ça s’est épaissi… j’ai eu réellement peur de ne pas pouvoir te revoir…

-Je suis là, pas d’inquiétude, le rassura Faylyx d’une voix où la conviction manquait.  

-Par tous les dieux de l’univers, j’étais complètement seul dans mon rêve… et j’ai souhaité mourir, Faylyx! Je voulais mourir plutôt qu’on m’abandonne…

-Ce n’était…qu’un mauvais rêve. Juste un cauchemar…personne ne va t’abandonner... »  

Faylyx resserra son étreinte autour de la mince silhouette de Reovio pour mettre un peu de certitude dans ses propos. Il ne se sentait pas la force ni l’envie de lui partager son rêve… son amoureux savait déjà assez bien qu’il craignait de voir les gens qu’il aimait mourir sous ses yeux. De plus, les sens cachés de certaines images de ce cauchemar l’effrayaient… et essayer de les analyser lui fichait tout autant la frousse. Malgré le dégoût que cela lui provoquait, Faylyx décida toutefois de les mémoriser du mieux qu’il pouvait –de toute façon, oublier ce rêve serait rudement difficile- pour tenter de les comprendre plus tard.

La pleine lune approchait et il ne voulait rien négliger, la corruption de la Source de rêves ne faisant qu’empirer son appréhension. Si ce n’était pas un signe que quelque chose clochait, il voulait bien devenir borgne sur le champ.



Lorsqu’ils revinrent au village, le ciel s’était dégagé et le soleil brillait de nouveau. Une multitude de flaques d’eau étaient nées pendant la tempête, les environs en étaient envahis. Les arbres avaient perdu beaucoup de branches et plusieurs toits de maison manquaient de tuiles. Déjà quelques personnes étaient sorties de leur chez-soi pour constater les dégâts et ronchonner sur les réparations à exécuter.

Faylyx poussa un soupir lorsqu’il aperçut un pot de fleur lui appartenant brisé sur le sol, bien loin de la chaumière sur le chêne. Il les ramassa en silence et Reovio le regarda faire, atone.

Ils n’avaient pas échangé un mot durant le chemin du retour, trop accablés pour trouver un sujet de conversation différent des rêves qu’ils avaient eu dans la caverne- ils ne désiraient pas en parler tout de suite. Ils n’avaient même pas songé à prendre leur forme de dragon pour raccourcir le trajet. Silencieux, ils avaient parcouru la forêt en sens inverse, dans l’humidité fraîche et sous le piaillement incessant des oiseaux. Une girafe de Drahäliar avait même croisé leur route et  ils notèrent à peine la présence de l’incroyablement massif et haut animal à fourrure brune.

Une fois le plus gros du pot cassé récupéré, Faylyx se releva et se tourna vers son jeune ami. Celui-ci semblait toujours préoccupé, mais son expression avait déjà retrouvé sa confiance et détermination habituelle; dans peu de temps, la seule chose que les villageois pourraient se demander sur leur compte, c’était l’origine de la boue dont ils étaient couverts. Ce qu’ils expliqueraient sans trop de problème. Leur tête d’enterrement aurait peut-être représenté un défi différent…

Indécis, ils restèrent un moment à l’entrée du village, entre les arbres, ne sachant pas quoi faire.

« Et si on…allait chez toi? » proposa Reovio, premier à rompre le silence, les mains fourrées dans les poches de son pantalon.

Faylyx acquiesça d’un bref signe de tête.

Comme le craignait le jeune homme, la plupart des plantes en pot suspendues aux branches du chêne s’étaient décrochées de leur perchoir et gisaient en miettes ci et là dans les parages. Cette vision le démoralisa, mais ce n’était rien comparé à la Source de cauchemars… il laissa tomber les morceaux de céramique au pied de l’arbre.

La plate-forme autour de la maison était détrempée et glissante. Faylyx rata de peu accomplir un saut périlleux et surtout inattendu quand son pied dérapa sur le bois et qu’il s’affala tout près du bord sur le dos. Reovio fut le seul témoin de sa chute et sourit un peu malgré lui. Voir réapparaître un peu de joie sur la bouille de son amoureux suffit à ne pas faire regretter Faylyx d’avoir trébuché comme un imbécile.

« Pas trop de mal?

-Te voir sourire est le meilleur des baumes, répondit le jeune homme aux lunettes sales. Sauf que tu peux m’aider à me relever quand même…

-Dis pas des trucs comme ça quand on est devant chez toi, murmura Reovio en le tirant par la main. Julianne pourrait être en train de nous regarder par la fenêtre… »

Faylyx gloussa et se remit debout.



Julianne manqua se déboîter la mâchoire en voyant toute la crasse qui recouvrait les deux jeunes hommes face à elle. Qkuela se contenta de ricaner, une main devant la bouche. Sans cesser de les dévisager, des éclairs dans les yeux, l’adolescente les pointa d’un doigt accusateur.

« Mais où est-ce que vous êtes allés vous balader tout ce temps? » s’exclama-t-elle, incapable de croire à ce qu’elle voyait.

De la fange, résidu de la Source de cauchemar, dégoûtait toujours des vêtements et des cheveux de Faylyx et Reovio. Une petite flaque s’étendait sur le parquet de bois, à leur pied. Julianne grogna, pas enchantée en songeant au nettoyage qui suivrait.

« Euh…nous sommes allés nous promener dans la forêt…débuta Faylyx.

-Et comme il pleuvait des cordes, que le sol était vaseux, qu’il y avait beaucoup de vent… poursuivit Reovio.  

-Vous n’aviez rien de mieux à faire que d’aller traîner dans la boue pendant un orage durant des heures? Qkuela et moi étions mortes d’inquiétude!

-Je n’étais pas inquiète » protesta la fillette aux cheveux lilas.

Reovio lui adressa un sourire radieux.

«J’étais inquiète, et vous salissez toute la maison! Papa va perdre connaissance quand il va voir cette saleté! » se reprit Julianne, les bras croisés, ronchonneuse.  

À ça, ils ne trouvèrent rien à répliquer, car c’était vrai : on pouvait aisément suivre leur trace dans la chaumière jusque devant la porte de la salle de bain, leur objectif premier duquel Julianne les avait dévié pour les engueuler.

« On se lave… et on nettoie le plancher? Tu n’auras rien à faire, pas une serpillière à manipuler » lui assura Faylyx en essayant d’être charmeur.

Son charme n’opéra pas. Réalisant que le stratagème de son amoureux pour adoucir le courroux de Julianne ne fonctionnait pas, Reovio s’approcha de celle-ci et lui murmura quelque chose à l’oreille. La jeune fille rougit et se mit à ricaner comme une gamine –ce qu’elle était, en quelque sorte. Faylyx et Qkuela les regardèrent, un point d’interrogation sur leur visage. Qu’est-ce qu’il pouvait bien lui avoir dit?... Toujours est-il que sa ruse marcha très bien.

Un moment plus tard, Faylyx et Reovio se retrouvaient, seuls et tranquilles, dans la salle de bain avec une grande baignoire remplie d’eau tiède. Débarrassés de leurs vêtements, ils y plongèrent sans hésiter, et l’eau se salit presque instantanément.

Faylyx s’immergea jusqu’au cou, et sa longue chevelure se mit à flotter autour de lui comme une amas d’algue à la dérive. Reovio s’empara d’une éponge et frotta avec énergie ses bras crasseux. Ce qui n’avait pas encore séché sur sa peau se dilua dans l’eau, mais le reste de ne détacha pas tout de suite : sa peau s’irrita et devint rouge à force d’être frictionnée. La boue de la Source de cauchemars était drôlement tenace face au débarbouillage. Il examina ses doigts et poussa un grognement de frustration.

« J’en ai jusqu’en dessous des ongles! C’est dégueulasse! Arg! »

D’un geste théâtrale, Reovio jeta l’éponge dans l’eau et s’y laissa glisser jusqu’aux épaules. Ses jambes allèrent s’enchevêtrer dans celles de Faylyx.; le bain n’était pas si grand que ça non plus.

« Julianne a dit que nous avons été absents pendant des heures, c’est normal? demanda l’adolescent en levant les yeux vers son compagnon.

-Je ne sais pas…je croyais bien connaître les Sources de rêves, mais je ne sais pas grand-chose des Sources de cauchemars. Je ne pensais pas en voir dans ma vie, répondit Faylyx. J’irai voir Aka pour en savoir plus… ce qui s’est produit n’est pas normal du tout. Il doit y avoir une raison. »

Il marqua une pause et parut profondément contrarié.

« Je refuse de croire que cela s’est produit pour rien. Une Source de rêves est précieuse, et mine de rien, c’est aussi une magie ancienne et puissante. J’ose croire que cela ne s’altère pas aussi facilement.

-Pour savoir, d’où tu tiens toute cette information?

-Lis un peu et tu apprendras beaucoup, c’est tout simple… »

Reovio croisa ses bras derrière sa tête et s’appuya contre le bord du bain. Il fixa le plafond un instant avant de s’écrier :

« Le flacon! Celui dans lequel tu as pris de l’eau de la Source! Est-ce que ton échantillon s’est gâté lui aussi? »

Le jeune homme écarquilla ses grands yeux reptiliens jaunes. L’échantillon! Il n’y pensait même plus! Se tournant, il tendit le bras vers sa chemise sale qu’il avait laissé sans précaution sur les dalles du plancher. Il parvint à récupérer le flacon sans trop se tordre tout le corps pour ne pas tomber de la baignoire. Entre ses doigts, il leva le récipient à la hauteur de son regard. Dans l’immédiat, Faylyx ne portait pas ses lunettes, sauf qu’il parvint à discerner les merveilleuses couleurs de l’eau de la Source de rêve. Reovio se glissa contre lui et observa la fiole à son tour.

« Incroyable! Elle est restée pure! Comment c’est possible?

-Je l’ignore… mais ça signifie que la Source ne s’est pas… périmée, si on veut. Sinon, mon échantillon serait corrompu, lui aussi. Et ce n’est pas le cas. C’est autre chose que le temps.

-Qu’importe ce que c’est, on a tous les deux fais des songes atroces! Ne t’en déplaise, j’irai plus jamais dans une Source de rêves, et tu t’en doutes, encore moins de cauchemars… »

Le drako aux cheveux bleus posa alors sa tête contre le torse de Faylyx et passa ses bras autour de sa taille. Ses yeux se fermèrent, et un long soupire franchit ses lèvres.

« On était vraiment sous le choc, tout à l’heure… et rien qu’à cause de stupides rêves, murmura tout bas Reovio avec un petit rire nerveux. Je m’en veux d’avoir autant paniqué, parce que je sais pertinemment que tu seras toujours là… »

Faylyx lissa la chevelure de Reovio d’une main, et continua de tenir le flacon dans l’autre.

« Qu’est-ce que tu as raconté à Julianne pour qu’elle nous fiche la paix, au fait?

-J’ai promis de lui laver le dos un de ces jours si elle nous donnait une petite heure de calme, répondit Reovio, un large sourire s’étirant sur son adorable minois.

-Tu es ignoble » soupira le jeune homme.




Xalahos essayait de ne pas crier pendant que Aka nettoyait la cicatrice qui débutait de son œil gauche jusqu’à sa nuque, formant une singulière ligne rougeâtre sur son visage et son cou.

Sans raison précise, la vieille blessure s’était rouverte durant l’orage. Constatant cela (ça lui avait fait un mal de chien et ça s’était mis à pisser le sang), il s’était immédiatement précipité chez sa soeur afin qu’elle examine et referme la plaie. Une blessure aussi vieille qui recommençait à saigner comme le jour où elle avait été gravée à même sa chair, ce n’était pas plaisant. Surtout lorsqu’on considérait que Xalahos y avait toujours fait attention.

« Tant d’années se sont écoulées, et cette plaie de malheur refuse de guérir comme il se doit, commenta Aka à mi-voix, concentrée sur sa tâche.

-Il y a des jours où je ne vois pas la cicatrice, tu sais, et il y a des jours... »

Il lâcha un juron quand le désinfectant qu’employait Aka lui fit mal.

« … où chaque fois que je vois mon reflet, je l’imagine derrière moi, ses griffes levées vers mon visage. Tout à l’heure, j’avais l’impression qu’elle venait tout juste de me cisailler la peau » finit-il de dire avec un petit rire triste.

Aka ne répondit rien, regardant tout le sang qui s’était répandu sur son frère; le haut de son gilet en était imbibé et des larmes rouges semblaient avoir roulé le long de sa joue gauche. Une bien triste vision :  une plaie sanglante sur la figure d’un homme qui aurait l’air d’un adolescent doté de favoris un peu plus fournis que la moyenne toute sa vie. Un visage si jeune, des marques pourtant si vieilles et profondes… Avec ses voyages, ses recherches et ses expériences personnelles, Aka pouvait reconnaître que ce n’était pas banal qu’une personne d’allure aussi juvénile puisse témoigner d’autant d’atrocité.

Voir son frère dans cet état navrant, recouvert de sang, la rendait tout simplement malade, et si Xalahos repensait de temps à autre au jour où il avait hérité de cette cicatrice, elle, elle y repensait chaque fois que son regard se posait sur lui.

À cet instant, tandis qu’elle soignait Xalahos, Aka maudit la jeunesse éternelle dont étaient pourvus les semi-dragons de leur espèce. À quoi bon vivre mille ans si le temps n’adoucit jamais l’aspect révoltant des stigmates et si la mémoire reste tranchante du début à la fin, n’épargnant aucun détail de choses que l’on préfèrerait pouvoir oublier en vieillissant?  Aka damna son propre visage trop lisse et trop parfait pour son âge pourtant bien avancé…

« Aurais-tu remarqué des choses étranges, ces temps-ci? » le questionna-t-elle soudain.

L’homme parut d’abord perplexe avant de sérieusement réfléchir.  

« La pleine lune approche et elle est de mauvais augure dans l’esprit de tout le monde, fit-il en baissant ses yeux bleus vers le plancher. Faylyx est plutôt agité ces temps-ci, et je le comprends. Je ne suis pas particulièrement heureux moi non plus par les temps qui courent… une date anniversaire comme celle-là n’égaye personne. »

Un gros soupir ponctua sa phrase.

« Surtout que nous devrons nous barricader à double tour dans nos foyer pour être certains d’être à l’abri des lunarians dans quelques jours. Tout le monde va se mettre à remarquer des choses anormales…

-Ça ne t’inquiète pas que ta cicatrice se soit rouverte?

-Je ne sais pas…je devrais m’inquiéter? »

Ils se défièrent du regard.

« Peut-être pas pour ça, mais tu devrais te préoccuper plus souvent des autres signes, clama Aka tout en allant chercher de quoi recoudre la plaie.

-Quels autres signes? Je ne crois pas à ces idioties de prémonitions et de pressentiments! rétorqua Xalahos en haussant la voix pour être certain que sa sœur l’entendrait.

-Tu devrais, pourtant. Certains drames auraient pu être évité de cette façon » renchérit-elle, brusquement glaciale.

Un boîtier métallique atterrit avec fracas sur la table sur laquelle Xalahos était assis. Aka y prit une aiguille et du fil, puis elle fit mine de s’apprêter à recoudre la cicatrice de son frère…à froid. Celui-ci eut un mouvement de recul et s’écria :

« Si tu ne me donnes rien pour engourdir la douleur, donne-moi quelque chose pour mordre dedans, histoire que je ne me coupe pas la langue! »

Aka s’immobilisa, mais son expression demeura menaçante et d’une froideur ahurissante.

« Tu as raison…je vais préparer une infusion qui va t’endormir… »

Sur quoi elle fit volte-face et disparut dans la pièce où elle rangeait ses plantes curatives.

Une fois la porte fermée derrière elle, Aka se laissa choir contre et glissa jusqu’au plancher, ses doigts agrippant sa tignasse noire avec exaspération. Dire qu’elle avait cru pouvoir faire part de ses doutes et appréhension à Xalahos… il refusait toujours d’accorder ne serait-ce qu’un brin de considération aux signes prémonitoires et à ceux qu’elle ressentait. Ses tripes ne lui avaient jamais menti, pourtant, il se tramait quelque chose dans l’ombre… et il y avait plus que ses tripes pour la conforter dans ce credo.

Un grondement que seule elle pouvait entendre s’éleva. La femme releva d’un coup la tête et jeta des coups d’œil alertes dans la petite salle. L’unique source de lumière dans la pièce était le mince rectangle lumineux sous la porte, outre cela, la pénombre régnait et pouvait lui jouer des tours comme toute à l’heure. Un rire qu’elle connaissait trop bien se fit ensuite entendre.

Son sang se glaça dans ses veines, mais elle parvint  à relativement conserver son calme; elle le devait.

« Ton petit frère n’apprendra donc jamais, hein? » susurra une voix rauque et grave venue d’outre-tombe, une note de moquerie dans le ton.

Aka resta muette et interdite.

« Je ne veux pas te faire fâcher, je sais que tu ne relâcheras jamais ta garde. Seulement, je trouve très amusant de te voir aussi frustrée. Tu es délicieusement effrayante quand cela arrive. »

Un rictus mauvais déforma les traits de la femme à ces mots.

« Tu sens la colère monter en toi, n’est-ce pas? Depuis combien de temps n’as-tu pas jeté un coup d’œil sur ce maudit artefact que tu caches? »

Tournant légèrement la tête, Aka regarda son établit et le petit comptoir qu’elle avait installé dans le fond de la pièce où ses plantes médicinales et le reste de son matériel étaient entreposés. Sous le comptoir, le tapis insignifiant lui sauta aux yeux, trop évident et trop suspect, même dans la pénombre. La trappe cachée en dessous ne lui était pas inconnue, et encore moins le contenu de cette cave secrète…

En son absence, la porte de son petit bazar était toujours verrouillée, et Aka ne donnait pas cher de la peau de ceux qui tenteraient un jour de lui dérober quoi que ce soit. Non seulement elle ne tolérait pas qu’on  fouine dans ses affaires, mais la pensée qu’on puisse découvrir ce qui se cachait au fin fond de sa cave la terrorisait. Personne ne devait jamais savoir, personne ne devait jamais trouver.

« Ne sens-tu pas que c’est fâché? Ça  frémit de rage et d’excitation…Ça  sait quelque chose, ma tendre Aka… les plus sensibles doivent aussi le percevoir. La pleine lune approche, c’est une période faste pour ce genre de manifestation, et je suis prêt à parier que la nature est aussi en train d’en souffrir... Xalahos ne croit pas aux présages, mais ce n’est pas une intuition aveugle simplement dictée par ton instinct… c’est beaucoup plus que cela, et ça te dégoûte d’en être consciente. »

Un rire sinistre résonna.

« Que de responsabilités et de soucis incombent à ceux qui détiennent un tel objet de malheurs et de pouvoirs, n’est-ce pas?

-Dégage » siffla la femme entre ses dents.

La voix se tut aussitôt.

D’un mouvement agile et rapide, Aka se remit debout et posa de nouveau son regard sur le tapis sous le comptoir. Sa figure avait retrouvé son masque de détachement usuel, sauf que le doute et la peur ne l’avait pas quitté. Ni la colère.

Elle s’approcha du comptoir et s’accroupit près du tapis pour le lancer plus loin, découvrant l’ouverture  tout juste assez grande pour qu’une personne puisse s’y introduire. Un accès fait sur mesure à sa mesure. Avec le plus de précaution possible (afin que Xalahos n’entende rien), elle souleva la trappe, puis elle s’y glissa tout aussi prudemment.

Elle devait aller voir.
Voilà la troisième partie du "Cœur de la colère".

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